Quelles conséquences pour l’officier d’état civil qui refuse de célébrer un mariage homosexuel ?

Adoptée et promulguée dans les conditions que l’on connaît, et validée par le Conseil Constitutionnel (Décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013), la loi du 17 mai 2013 a ouvert le mariage aux couples de personnes de même sexe (Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe).

Par suite aux diverses polémiques ayant été portées sur la place publique, et pour anticiper toutes difficultés d’application de ce texte, le Ministère de l’Intérieur a publié, le 13 juin 2013, une circulaire ayant pour objet les « conséquences du refus illégal de célébrer un mariage de la part d’un officier d’état civil ». Cette circulaire a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir exercé par sept maires devant le Conseil d’Etat (recours pendant à ce jour devant la Haute juridiction administrative française).

C’est l’occasion de revenir sur les conséquences juridiques du refus illégal d’un officier d’état civil de célébrer un mariage.

En premier lieu, la circulaire rappelle les autorités compétentes pour célébrer un mariage (I). En deuxième lieu, le texte détaille les conséquences du refus illégal de célébrer un mariage (II).

1. Les autorités compétentes pour célébrer le mariage

Dans un premier temps, la circulaire du 13 juin 2013 rappelle que, pour qu’un mariage soit valablement célébré en France, il doit l’être par un officier d’état civil du lieu du domicile ou de la résidence de l’un des deux époux ou de l’un de leurs parents (Article 74 du Code Civil), à savoir par le maire, ou l’un de ses adjoints (a). Le mariage peut également être célébré, par délégation, par un conseiller municipal (b).

a) La compétence du maire et des adjoints pour célébrer le mariage

En vertu de la loi, le maire et les adjoints sont officiers d’état civil (Article L.2122-32 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT)), et exercent cette fonction au nom de l’Etat, sous l’autorité du procureur de la République (Article 34-1 du Code Civil).

Le mariage peut donc être célébré :

    • Par le maire,
    • Ou par l’un quelconque de ses adjoints (sans délégation du maire nécessaire).

Il convient de préciser, en la matière, que le maire ne peut interdire à l’un de ses adjoints d’exercer ses fonctions d’officier d’état civil (au cas présent, de célébrer un mariage) (voir sur ce point CE, 11 octobre 1991, n°92742).

Par ailleurs, s’agissant des villes de Paris, Lyon, et Marseille, découpées en arrondissements, le maire d’arrondissement et ses adjoints sont officiers d’état civil dans l’arrondissement (Article L. 2511-26 du CGCT).

b) La compétence des conseillers municipaux pour célébrer le mariage, par délégation

En application des dispositions de l’article L.2122-18 du CGCT, le maire peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer par arrêté une partie de ses fonctions en matière d’état civil, en l’absence ou en cas d’empêchement des adjoints, à des membres du conseil municipal.

Tout conseiller municipal ayant reçu délégation régulière du maire peut donc, en cas d’absence ou d’empêchement du maire et des adjoints, célébrer le mariage (voir CE, 11 octobre 1991, n°92742).

2. Les conséquences du refus illégal de célébrer un mariage

Il n’entre pas dans les pouvoirs de l’officier d’état civil d’apprécier l’opportunité de la célébration d’un mariage, et il ne peut refuser pour des motifs d’ordre personnel de respecter la loi et de célébrer un tel mariage.

Toutefois, l’officier d’état civil doit refuser de célébrer le mariage s’il existe une opposition régulièrement formée (Article 172 et suivants du Code Civil), des empêchements à mariage, ou si les formalités administratives du mariage n’ont pas été effectuées. Il appartient par ailleurs à l’officier d’état civil de saisir le Procureur de la République s’il existe, selon lui, des indices sérieux laissant présumer une absence de consentement libre des époux (Article 175-2 du Code Civil). S’il estime qu’il pourrait être atteint par une cause de nullité, le Procureur de la République pourra alors former opposition à mariage (Articles 146 et 175-1 du Code Civil) devant le juge civil.

Hormis ces hypothèses, le refus illégal de célébrer un mariage pourrait constituer une voie de fait (a). Par ailleurs, l’officier d’état civil qui refuse de célébrer un mariage peut s’exposer à des poursuites pénales (b) et à des sanctions disciplinaires (c). Une saisine du Défenseur des Droits est également envisageable (d).

a)     Le refus illégal de célébrer un mariage pourrait constituer une voie de fait

Dans sa circulaire du 13 juin 2013, le Ministère de l’Intérieur rappelle que le Conseil Constitutionnel a reconnu la liberté du mariage comme une composante de la liberté individuelle (CC, 13 août 1993, Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993) protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1989 (CC, 20 novembre 2003, Décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003).

Il en résulte que le refus illégal d’un officier d’état civil de célébrer un mariage pourrait être qualifiée de  « voie de fait », définie traditionnellement comme une décision manifestement insusceptible de se rattacher à un texte législatif ou règlementaire, et qui porte une atteinte grave à une liberté fondamentale.

La qualification de voie de fait est de nature à donner compétence au juge judiciaire (Tribunal des conflits, 8 avril 1935, Action française, n° 00822), et plus précisément au président du Tribunal de Grande Instance (TGI), statuant en référé (Article 809 du Code de Procédure Civile) pour prendre toutes les mesures nécessaires à la cessation de la voie de fait, à savoir :

  • Donner injonction à l’officier d’état civil, le cas échéant sous astreinte, de procéder à la célébration du mariage sans délai,
  • Et condamner l’officier d’état civil à des dommages et intérêts.

Le juge des référés peut être saisi par le couple concerné par le refus de célébration.

Il convient toutefois de préciser que, depuis une décision « M. Bergoend c/ Société ERDF Annecy Léman » du Tribunal des Conflits du 17 juin 2013 (TC, 17 juin 2013, M. Bergoend c/ Société ERDF Annecy Léman, n°C3911) (donc postérieure à la circulaire susvisée), qui a eu pour effet de réduire la portée de la notion de « voie de fait », sanctionner le refus illégal de célébrer un mariage par l’intermédiaire de la voie de fait paraît aujourd’hui plus qu’incertain.

b)    Le refus illégal de célébrer un mariage expose l’officier d’état civil à des poursuites pénales

L’officier d’état civil qui refuse illégalement de célébrer un mariage peut également être sanctionné pénalement sur deux fondements (l’élément constitutif de l’infraction pouvant être, à titre d’exemple, le refus d’enregistrer le dossier de mariage par le service d’état civil).

En premier lieu, le refus illégal de célébrer un mariage est sanctionné par l’article 432-1 du Code Pénal, qui dispose que le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

En deuxième lieu, si le motif du refus illégal de célébrer un mariage tient à l’orientation sexuelle des époux, le refus de célébrer le mariage peut également être sanctionné par l’article 432-7 du Code Pénal, qui sanctionne le délit de discrimination défini à l’article 225-1 du même Code, commis à l’égard d’une personne physique ou morale par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

A titre d’exemple, un maire a déjà été condamné pénalement sur le fondement de cet article (voir CA Papeete, 1er septembre 2011, n°292-133). Le maire de la commune de Taputapuatea (île de Raiatea, Polynésie française) a en effet été condamné pénalement pour avoir :

  • refusé de marier une transsexuelle pour des raisons « tenant à ses convictions religieuses »,
  • refusé de signer toute délégation de fonctions en matière d’état civil à ses adjoints,
  • allégué des « réactions de la population » s’il procédait au mariage,
  • et suggéré aux futurs époux de prendre à sa charge les frais de voyage pour qu’ils aillent se marier dans une autre commune.

La condamnation pénale du maire s’est élevée à une amende de 500 000 francs pacifique (FCP) (4 190 euros), et, à verser à chacun des époux les sommes de :

  • 500 000 FCP (4 190 euros) en réparation du préjudice moral,
  • 25 000 FCP (209,50 euros)  en réparation du préjudice matériel,
  • 75 000 FCP (628,50 euros) au titre des frais irrépétibles,
  • et 75 000 FCP (628,50 euros) en application des dispositions des articles 475-1 et 512 du Code de Procédure Pénale.

Le maire a également été condamné à 14 544 FCP (121,88 euros) de droit fixe de procédure soit un total de 15 624,88 euros de condamnation.  

c)     Le refus illégal de célébrer un mariage expose certains officiers d’état civil à des sanctions disciplinaires

En application des dispositions de l’article L.2122-16 du CGCT, le maire et ses adjoints peuvent faire l’objet de sanctions disciplinaires pour avoir illégalement refusé de célébrer un mariage (à noter que ce régime disciplinaire ne concerne que le maire et ses adjoints, et ne concerne pas les simples conseillers municipaux ayant reçu délégation).

Plus précisément, le maire et les adjoints, après avoir été entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés, peuvent :

  • être suspendus par arrêté ministériel motivé (du Ministre de l’Intérieur) pour une durée qui n’excède pas un mois,
  • ou être révoqués, par décret motivé pris en conseil des ministres (sur le rapport du Ministre de l’Intérieur).

La révocation emporte de plein droit l’inéligibilité aux fonctions de maire et à celles d’adjoint pendant une durée d’un an à compter du décret de révocation à moins qu’il ne soit procédé auparavant au renouvellement général des conseils municipaux.

d)    La compétence du Défenseur des Droits

En dernier lieu, il convient de préciser, sur les aspects discriminatoires, qu’une saisine du Défenseur des Droits (ex-HALDE) par les époux victimes de discrimination en raison de leur orientation sexuelle est également envisageable en cas de refus de mariage.

Le cas échéant, le Défenseur des Droits pourra présenter des observations devant la juridiction civile, administrative ou pénale compétente (Article 33 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits).

Voir le formulaire de saisine en ligne du Défenseur des Droits.  

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Au regard des conséquences sus-rappelées, on conseillera aux maires, adjoints et conseillers municipaux de France de se garder de toute déclaration intempestive, et de toute décision hâtive en matière de célébration de mariage. 

ADDENDUM (4 nov. 2014)

  • CE, 9 juillet 2014, n°382145 : en refusant de délivrer un visa d’entrée et de court séjour à un étranger désireux d’épouser un ressortissant français en application de la loi de mai 2013 sur le mariage pour tous, l’administration consulaire porte une atteinte gravement illégale à la liberté fondamentale de se marier, la suspension de cette décision réduisant, en l’espèce, le pouvoir discrétionnaire de l’administration dans un domaine traditionnellement régalien (voir AJDA 2014 p.2141)

Pour aller plus loin :

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Barreau de Lyon

Ligne directe : 07.64.08.45.41

pierrick.gardien@avocat-conseil.fr

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